mercredi 1 juin 2011

Les "sapeurs" noirs africains et les marques de luxe


Les recherches sur la marque trouvent un terrain particulièrement favorable avec l’étude des marques de luxe. Quelle que soit la définition de la marque choisie ou la manière de mettre en exergue ses caractéristiques, la marque de luxe amplifie de nombreux phénomènes, tout en étant paradoxalement difficile à définir. La marque de luxe témoigne d’un projet créatif. Mais peut-être plus que des marques de grande consommation, la marque de luxe identifie, garantit, structure l’offre.
Parmi les consommateurs de marques de luxe, on trouve une catégorie particulière appelée les « sapeurs ». Ils sont noirs africains, ce sont plutôt des hommes et ils tireraient leur nom de la SAPE, acronyme de la « Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes ». Cette catégorie de consommateur n’est a priori attachée qu’aux vêtements et accessoires vestimentaires dans un style classique occidental s’apparentant au dandysme. L’expression sociale de la consommation du luxe passe a priori exclusivement par ces catégories de produits.

Il existe une définition unique du luxe chez les africains. Celle-ci se base uniquement sur le vêtement et ses accessoires. Etymologiquement plusieurs langues africaines traditionnelles assimilent les mots « luxe » et « habit » en une même unité sémantique. Les termes sont parfaitement substituables. Plus globalement les « sapeurs » procèdent à la même assimilation des termes. Par ailleurs il apparait que les marques de luxe vestimentaires sont désignées selon le pays d’origine et à chaque pays d’origine est associé un champ sémantique spécifique. Par exemple les VA (marques « Venant d’Angleterre », comme Weston ou Lobb) sont associées à l’élégance et au raffinement.
Etre sapeur exige des compétences. Le « sapeur » combine des marques et des griffes selon un code ou des règles plus ou moins formelles, auxquelles il faut être initié. La réussite de cet assemblage de vêtements et d’accessoires confère au « sapeur » une unicité et la qualité de l’assemblage est source de légitimité dans la communauté. Les marques qui sont appropriées sont avant tout occidentales et s’inscrivent dans un paradoxe selon lequel l’africanité est revendiquée à partir d’un processus de surconformité en assemblant parfois jusqu’à l’excès ou la caricature, l’élégance occidentale. Cette ambiguïté est source de tensions identitaires.
Enfin les résultats mettent en évidence que les marques choisies par les « sapeurs » se doivent d’être authentiques. Le recours à une contrefaçon est proscrit. Le « sapeur » qui transgresserait cette règle pourrait se voir bannir de la communauté. Ce faisant il perdrait toute crédibilité dans l’affirmation de soi au miroir de son appartenance à la communauté.

source : 
Coulibaly D., Brodin O., Ladwein R. (2011), Marques de luxe, logique identitaire, contrefaçon et risque de banissement communautaire: le cas des "sapeurs" noirs africains, Colloque International Luxe et Contrefaçon, Genève, 9-10 juin.