mercredi 26 juin 2019

Matérialisme, consommation et culture: les difficultés de la mesure

Il est difficile de mesurer le matérialisme. A l'heure actuelle on dénombre principalement trois manières de mesurer le matérialisme. La première caractérise le matérialisme par des traits de personnalité. La seconde caractérise le matérialisme par des aspirations et enfin la troisième appréhende le matérialisme à partir des valeurs des consommateurs. La première approche (Belk) a été très peu utilisée. On ne trouve quasiment pas de traces de publications. Pour avoir testé personnellement cette mesure force est de constater que ses qualités psychométriques sont très faibles. La seconde mesure (Kasser et Ryan), basée sur les aspirations,  est d'après mes essais meilleure sur le plan des qualités psychométriques, mais elle est surtout adaptée aux jeunes ou aux étudiants du fait des questions posées. La troisième mesure (Richins et Dawson) est incontestablement la plus utilisée. Elle domine la littérature. Pour autant est-ce la mesure ultime? A priori non. Pourquoi? Cette mesure ne semble pas généralisable à toutes les cultures et tous les pays. Si elle semble fonctionner à merveille aux Etats-Unis, nous avions déjà montré en 2005 qu'elle ne fonctionnait pas bien en France, après une autre étude (Griffin, Babin, Christensen) qui a montré qu'elle ne fonctionnait pas bien en France et pas bien en Russie. En revanche, elle semble fonctionner au Danemark. Ces différents résultats mettent en évidence la nécessité de nous préoccuper davantage du matérialisme et de la consommation et d'envisager d'autres mesures plus adaptées pour mesurer le matérialisme de manière inter culturelle.

Sources:
Griffin M., Babin B.J., Christensen F. (2004), A cross-cultural investigation of the materialism construct Assessing the Richins and Dawson’s materialism scale in Denmark, France and Russia, Journal of Business Research, 57, 893-900.
Ladwein R. (2017), Malaise dans la société de consommation, essai sur le matérialisme ordinaire, Editions EMS, Caen.

samedi 24 mars 2018

Label FNEGE et prix de l'Académie des Sciences Commerciales 2018: société de consommation

"Malaise dans la société de consommation: essai sur le matérialisme ordinaire" Richard Ladwein

Mon dernier ouvrage a recueilli quelques faveurs. Je remercie ici les membres des jurys qui ont décidé d'accorder davantage d'audience à cet ouvrage.

 Malaise dans la société de consommation, essai sur la matérialisme ordinaire


mardi 31 octobre 2017

Consommations ostentatoire: Thorstein Veblen

Pour Baudrillard (1970), la fonction d’un objet est une caution. Elle masque sa dimension signifiante. C’est Thorstein Veblen (1899) qui de manière emblématique va porter la critique du fonctionnalisme en discutant la consommation ostentatoire et la logique de classe sociale qu’elle sous-tend. La consommation ostentatoire marque les esprits par le souci qu’ont les consommateurs d’exposer avec leurs possessions leur statut social, leur réussite, par un mode de vie essentiellement basé sur une consommation de symboles. Les bases de cette forme de consommation sont la propriété ou la possession. C’est sur ces bases que vont se fonder l’estime des autres et la réputation, voire susciter l’envie chez ses semblables. Les individus vont s’inscrire dans une logique de cotation par la valeur. Veblen souligne ensuite qu’il ne suffit pas de posséder des biens matériels ; il est indispensable de les exposer, de montrer sa répugnance à l’égard des activités productives et de disposer de loisirs qui permettent l’oisiveté ou plus exactement la « consommation improductive du temps ». Cela se traduit par une consommation de biens immatériels comme les jeux, le sport, les animaux d’agrément, la musique, mais aussi matériels tels que l’ameublement, les vêtements ou l’équipement. Les bonnes manières accompagnent ces loisirs comme les résidus d’anciens actes de domination. Qu’il s’agisse de nourriture, de vêtements ou d’accessoires divers, la consommation se spécialise également en qualité et l’homme de la classe de loisir doit les consommer comme il sied. Cette classe tend à se structurer et produire un système sophistiqué de rangs et de grades et l’imitation des rangs ou grades supérieurs y est de mise. La rivalité mimétique ne peut échapper à ce système. L’étalage somptuaire suit des normes sociales du bon goût et tout contrevenant risque le discrédit. Plus l’objet de consommation est cher, plus il est inutile et plus il est apprécié. La banalité est la plus cruelle des sanctions, car ce qui est banal est accessible par le plus grand nombre et n’a pas grand intérêt lorsque le consommateur est prisonnier de la comparaison sociale.


R. Ladwein (2017), Malaise dans la société de consommation, essai sur le matérialisme ordinaire, EMS, Caen.
http://www.culture-materielle.com/materialisme-societe-consommation.html

dimanche 9 avril 2017

Malaise dans la société de consommation

Essai sur le matérialisme ordinaire


Pourquoi sommes-nous (presque) tous un peu matérialistes ? Les biens matériels occupent une
place incroyable dans nos vies. En consommant, l’individu dessine les contours de sa vie, la modèle
selon un schéma qui lui est propre. Consommer beaucoup, ou plus que nécessaire, c’est être matérialiste. Mais peu de personnes acceptent de se considérer comme telles. Pourtant dans les pays développés un matérialisme diffus se répand dans toutes les couches de la société. Un petit pas grand-chose qui fait que l’on consomme un peu trop. Ce petit pas grand-chose nous l’avons appelé le matérialisme ordinaire. L’objet de cet essai est de déconstruire les rouages de la relation que nous entretenons avec nos possessions matérielles. Comment et pourquoi nous attachons-nous à certains objets et pas à d’autres et pourquoi achetons-nous systématiquement un peu trop de biens matériels ? Quelles relations existe-t-il entre le matérialisme, les différentes formes de consommation, la construction identitaire et les valeurs des individus dans un environnement social incertain ? Que penser de la socialisation économique et des questions de société que pose le matérialisme ? Telles sont les questions fondamentales posées dans cet essai qui nous permettront de mettre en évidence la logique et la dynamique du matérialisme ordinaire dans la vie quotidienne.

Pour plus de détails: www.culture-materielle.com

jeudi 21 avril 2016

Statut social et misères signifiantes

La perte temporaire de possessions importantes d’un point de vue de la signification symbolique peut donner lieu à une stratégie de déni. Celle-ci consiste à éviter de considérer les blessures affectant le soi social et personnel et de maintenir les significations liées aux possessions perdues dans la définition du concept de soi. Ces résultats ont été mis en évidence dans le cadre des programmes de fidélité dans le domaine aérien et de la perte temporaire des privilèges associés aux grands voyageurs.


Source: Black I.R. (2011), Sorry not today : Self and temporary consumption denial, Journal of Consumer Behavior, 10, 267-278.

vendredi 12 juin 2015

Possessions matérielles et sentiment d'exclusion sociale

Le sentiment ou le besoin d'appartenance sociale est un principe bien établi du fonctionnement psychologique de l'individu. Il s'agit de maintenir et de développer les liens affectifs et émotionnels de telle sorte à optimiser le partage de ressources et de protections mutuelles (Baumeister et Leary 1995). Par exemple, les communautés de marques sont représentatives de ce besoin d'appartenance sociale. Que se passe-t-il lorsque ce besoin d'appartenance est mis en défaut? Quelles relations aux possessions matérielles l'individu entretient-il alors? Deux cas doivent être distingués : le cas de l'exclusion sociale implicite et le cas de l'exclusion sociale explicite.
L'exclusion sociale implicite est basée sur l'ignorance. L'individu est négligé par autrui. L'entourage social ne prête pas attention à lui. Dans ce cas, il apparaît que les choix en matière de dépenses sont orientés vers une consommation ostentatoire. Ce phénomène s'explique par le souci de se faire remarquer et d'être accepté par les individus qui l'entourent. Cela répond à un besoin de reconnaissance, d'appartenance et d'estime de soi.
L'exclusion explicite est basée sur le rejet social. Dans ce cas, l'individu découvre, chez les autres, des manifestations hostiles ou réactives à son encontre. En matière de choix de consommation, cette forme d'exclusion sociale se manifeste différemment. L'individu est en effet plus enclin à choisir des consommations basées sur le don ou des actions caritatives. On peut expliquer ce phénomène par le besoin de se différencier socialement pour faire face à l'adversité du rejet social. Cette manière de se différencier marque cependant une préoccupation sociale, dans la mesure où l'individu s'oriente vers des préoccupations prosociales.
Ce qui est mis en avant par les auteurs de cet article c'est que l'exclusion sociale est susceptible de prendre des formes différentes et que l'individu y fait face en mobilisant des choix de consommation différents qui vont cependant tous dans le sens de l'affirmation de son identité sociale. En recherchant la conformité ou en se différenciant, l'individu essaie par tous les moyens de manifester son désir d'appartenance sociale.


Lee J., Shrum L.J. (2012), Conspicuous Consumption versus Charitable Behavior in Response to Social Exclusion: A Differential Needs Explanation, Journal of Consumer Research, 39, October, 530-544.

Illustration: Kandinsky

Le hipster est moribond, bienvenue au Yuccie

Le hipster est une figure emblématique de cette dernière décennie. Il a alimenté de nombreux fils d'informations dans les forums et les blogs. Mais qu'était au juste le hipster? Les premières définitions sont floues, mais se sont affinées au cours du temps. On pourrait tout d'abord schématiser le hipster par son aspect. La barbe, le chandail tricoté par maman ou une grand-tante, la chemise de bucheron si possible originaire du Canada, une touche de modernité avec la marque à la pomme. Enfin bref, ce n'est qu'un look possible et de nombreuses variantes existent. La motivation du hipster consiste à se démarquer. A être différent des autres, considérés comme une masse informe que traversent de nombreux courants indéfinissables, le hipster gère une crise existentielle. Il se veut différent, mais il est différent en masse ce qui rend la différence marginale, voire caricaturale. L'ambiguïté ne réside pas dans le fait que les hipsters soient différents mais la différence affichée est la même à quelques ajustements à considérer. Ils se structurent ainsi en communauté alors que la démarche consiste à s'individualiser complètement. A moins d'être copié, l'individu isolé et complètement individualisé a peu de chances d'être sacralisé. La théorie du mimétisme de Girard opère encore. Tous les hipsters se ressemblent. D'aspect. Mais ils se ressemblent aussi par le vide conceptuel et le trop plein d'artifacts marketing.
La société marchande ne peut cependant se passer de sociostyles. Elle vient d'inventer le Yuccie (en fait D. Infante sur le site de mashable.com il y a deux jours à peine), "young urban creative". Qui est-il? Il est plutôt jeune, a abandonné son job bien payé dans le domaine de la banque ou de la finance pour se lancer dans un projet créatif comme une start-up dans le design, la création d'un site web voire un gîte rural ou toute autre production de l'esprit dont il espère qu'elle le fera vivre, dignement et même peut-être confortablement, et qui lui permettra de vivre son rêve. Il investit les quartiers populaires contribuant ainsi à leur embourgeoisement, En fait si l'on y regarde de près, il s'agit d'un self-made man qui tente de s'épanouir à l'ère du tout connecté et de l'Internet. Son projet est pour l'heure personnel et se différencie des projets des autres Yuccies. Sa problématique est toujours la même: être différent. Sa hantise et son désir le plus fou : être copié. Sa coquetterie : faire fortune.
Cette nouvelle création de sociostyle interfère à nouveau avec le marketing. Quel sera le potentiel de cette nouvelle figure? C'est à l'aune de ce potentiel que se jugera le Yuccie. Porteur, le portrait prototypique aura un bel avenir s'il sait offrir des opportunités d'identification et ainsi fédérer une partie de la génération Y dont elle est issue. Le désir mimétique opérera jusqu'à la saturation communautaire, ou le dépassement communautaire. Etre hipster n'est plus dans l'air du temps, alors pourquoi ne pas devenir Yuccie?

Quelques références:
http://mashable.com/2015/06/09/post-hipster-yuccie/
http://www.konbini.com/fr/tendances-2/hipster-mort-place-au-yuccie/
http://www.franceinfo.fr/emission/france-info-numerique/2014-2015/fini-le-hipster-voici-le-yuccie-10-06-2015-22-10
http://style.lesinrocks.com/2015/06/10/le-hipster-est-mort-vive-le-yuccie/
http://www.slate.fr/story/102785/hipster-mort-yuccie

Photo:  Lucian Freud "'Man's' chef, autoportrait"

Merci à Arthur



mardi 19 février 2013

Nomadisme et possessions matérielles

Les consommateurs sont souvent attachés à leurs possessions matérielles. Certaines d'entre elles occupent même une place privilégiée. Les objets qui renvoient à des liens affectifs, qui relient des individus entre eux ont un statut particulier. L'explication la plus couramment avancée est que les biens matériels sont centraux dans la vie des individus parce qu'ils participent à la construction identitaire. Cet attachement aux objets est-il le même pour tous les individus?
Le monde actuel est caractérisé par davantage de mobilité et certains individus en font un style de vie. Dans la société globalisée, de plus en plus d'individus sont susceptibles de voyager ou de déménager souvent. Comment ces individus conçoivent-ils leur rapport aux biens matériels?
On observe un certain détachement. Les objets deviennent plus fonctionnels et sont moins investis affectivement. Le consommateur évalue l'intérêt d'un objet en comparant la situation de mobilité dans laquelle il se trouve avec la situation sédentaire mais aussi nomade dans laquelle il se trouvait précédemment et celle-ci est rarement satisfaisante. Un objet qui avait du sens dans un contexte initial, perd de son sens dans un contexte de mobilité. Par exemple, un smartphone dont la possession est tout à fait pertinente à New-York, perd de son intérêt dans un pays comme l'Azerbaidjan du fait du développement des infrastructures de communication et de la signification sociale de disposer d'un tel objet. Aussi s'adapter au contexte social, technique et culturel du lieu de destination conduit les consommateurs à se détacher des biens matériels et à voyager sans emporter beaucoup d'effets ou d'objets. Plus encore, alors que lors des premières expériences de nomadisme les consommateurs avaient tendance à acheter des souvenirs caractérisant les lieux dans lesquels ils ont vécu, l'engagement progressif dans une vie plus radicalement nomade a conduit ces consommateurs à privilégier les souvenirs mémoriels au détriment des souvenirs matériels. Dans ce qui précède, il faut identifier plusieurs processus qui sont à l'oeuvre dans le rapport aux biens matériels. Le premier est lié à la valeur symbolique. Celle-ci varie d'un contexte social à un autre. Le second est lié à la valeur fonctionnelle de l'objet. Dans un contexte donné un objet peut être fonctionnel, alors qu'il ne l'est plus dans un autre. De manière plus transversale, un troisième processus concerne le désengagement du monde des objets et privilégie l'immatériel au détriment du matériel, autrement dit la nature du lien qui caractérise la relation de l'individu se distend et les biens matériels ne sont plus investis affectivement.
C'est en ce sens que les possessions deviennent "liquides". Les individus qui s'engagent dans le nomadisme sont ainsi en mesure de changer le rapport aux objets en s'adaptant au contexte. L'aliénation  aux objets souvent envisagée comme insurmontable semble ici relativement aisément contournée par les consommateurs. Il n'y a donc pas de fatalité à cette relation dévorante aux objets.


Bardhi F., Eckhardt G.M., Arnould E.J. (2012), Liquid Relationship to Possessions, Journal of Consumer Research, 39, October, 510-529.

mardi 15 janvier 2013

Deviner l'avenir : le consommateur comme nouvel oracle ?

C'est une curiosité que ce phénomène. Le consommateur est capable dans une certaine mesure de prévoir l'avenir. Le sens commun donne parfois à l'intuition une place de choix et certains individus endossent volontiers ce rôle.
Dans une série de huit études portant par exemple sur l'issue d'élections, le succès de films au box-office ou encore sur la météo, on peut observer que certains consommateurs sont mieux à même d'établir des prévisions que d'autres. Qui sont-ils ? Les consommateurs qui ont le plus confiance en leurs impressions ou leurs sensations sont les mieux à même de prédire l'avenir. Mais cela ne suffit pas. Il faut également que ces consommateurs disposent d'une connaissance, d'une expertise suffisante du domaine dans lequel sera effectuée la prévision.
De tels résultats sont intéressants car ils militent pour une meilleure prise en compte des circuits courts de décision. Les circuits longs sont ceux de la décision rationnelle. Les circuits courts ne sont cependant pas forcément ceux de l'émotionnel. Ils procèdent bien de processus cognitifs ancrés dans l'expertise et qui ne sont pas aisément verbalisables. Le consommateur est ainsi capable de prédire de manière objective, mais non rationalisable au sens classique du terme, la satisfaction qu'est susceptible de lui apporter un produit.


Pham M.T., Lee L., Stephen A.T. (2012), Feeling the Future: The Emotionnel Oracle Effect, Journal of Consumer Research, 39, October, 461-477.

vendredi 11 janvier 2013

L'ordre des arguments publicitaires: l'effet retard

Un vendeur a souvent tendance à exposer en bloc l'ensemble des arguments publicitaires qui sont en faveur de son offre par rapport aux offres concurrentes. Il apparaît cependant que lorsque l'on expose d'abord une série d'arguments en faveur de son offre et que l'on attend avant de délivrer un argument positif, on augmente la probabilité de choix du produit. Cet argument qui est différé devient ainsi décisif. Il est évidemment souhaitable que cet argument soit, d'un point de vue concurrentiel, celui qui est le plus marquant afin qu'il soit vraiment décisif.
On peut ici parler d'effet retard. Le consommateur a en effet préalablement engagé une analyse concurrentielle comparative et en différant la présentation d'un argument, ce dernier est susceptible de modifier son évaluation préalable, du fait d'un effet de récence.
L'étude présentée en référence conforte les publicitaires et les commerciaux qui utilisent d'ores et déjà ce procédé.


Ge X., Häubl G., Elrod T. (2012), What to Say When: Influencing Consumer Choice by Delaying the Presentation of Favorable Information, Journal of Consumer Research, 28, April, 1004-1021.