mercredi 20 juillet 2011

Décider en dialoguant avec soi-même: les soi multiples

Une manière d'appréhender la décision du consommateur consiste à la concevoir comme une discussion, un dialogue avec soi-même. On a envie d'un truc, mais la décision n'est pas simple. L'individu est alors susceptible d'engager un dialogue avec lui-même. Le "soi" ou le "je" est multiple. Dans la société fragmentée, cette juxtaposition d'instances est parfois assourdissante. Voici les figures les plus communes:
La compassion: l'un des soi ne juge pas l'autre soi et lui laisse prendre le dessus. L'un des soi renonce à mettre en avant ses préférences ou ses réticences. J'aime maintenir ma ligne, mais un autre soi m'invite à manger une glace. Le premier soi renonce et laisse le second manger sa glace. Le soi compassionnel est "gentle".
La compartimentalisation: chaque soi reste campé sur sa position et en fonction de la décision à prendre, l'un est compétent et l'autre n'a pas son mot à dire. Un achat s'impose dans le cadre professionnel, le soi domestique s'incline.
La coalition: un soi va trouver avec un autre soi un compromis lorsque les préférences sont compatibles. Le soi ludique souhaite acheter un nouvel ordinateur plus performant et il va trouver avec le soi professionnel un allié de choix, car tous deux aspirent à renouveler le matériel.
Alors que les stratégies précédentes sont caractérisées par la résolution de conflits, il y des configurations dans lesquelles les soi s'affrontent.
L'opposition: lorsque plusieurs soi sont en conflit, la résolution est incertaine et se solde par des regrets et  des tensions. Il faut payer le prix lorsque l'autre soi prend le dessus. L'individu qui souhaite s'acheter une nouvelle voiture est confronté au soi qui gère l'équilibre budgétaire. La bras de fer peut être important.
La domination: c'est un cas d'opposition dans lequel l'un des soi accepte le choix de l'autre soi, par défaut. Il peut s'ensuivre du ressentiment. Le soi futile décide l'achat d'un achat impulsif et le soi domestique est furieux mais n'a pas les moyens de lutter contre une envie irrépressible.
Ces différentes formes de "dialogues" supposent l'existence de soi multiples. Cette idée avait déjà été suggérée par Sirgy ou Belk ou par les tenants de la postmodernité. L'idée n'avait cependant jamais trouvé son terrain d'application dans le cadre de décisions de consommation. Cette contribution est intéressante car elle désenclave la décision d'une conception purement fonctionnaliste et introduit l'idée que la décision de consommation constitue un enjeu pour les différentes représentations que l'individu a de lui-même et qui peuvent être en tension entre elles. Plus précisément il semble que le dialogue entre des soi multiples caractérise également des tensions entre les différents modèles de rôle de l'individu.


Source: Bahl S., Milne G.R. (2010), Talking to Ourselves: A Dialogical Exploration of Consumption Experiences, Journal of Consumer Research, 37, June, 176-195.
photo Sylvie Fiant