mardi 24 mai 2011

Consommation identitaire: le lifestyle branding en question ?

L'idée selon laquelle les consommateurs achètent des marques qui expriment leur identité et contribuent à l'expression de soi est largement répandue chez les praticiens du marketing. Nombreux sont les professionnels du marketing qui se sont essayés à repositionner leur offre en abandonnant une communication basée sur les caractéristiques fonctionnelles de l'offre au profit d'une communication basée sur des styles de vie, censée caractériser l'identité du consommateur. L'idée sous-jacente est que de cette manière les praticiens du marketing évitent une concurrence frontale avec les autres marques en compétition dans la catégorie de produits.

Cette idée pourrait trouver ses limites. En effet les firmes qui emploient ce procédé changent de dimension concurrentielle et celle-ci n'est pas nécessairement en leur faveur. Le champ concurrentiel devient en effet l'ensemble des marques qui "produisent" des styles de vie comparables, mais dans le cadre de différentes catégories de produits. Or celles-ci sont potentiellement nombreuses. Ainsi d'un champ concurrentiel basé sur les caractéristiques fonctionnelles de l'offre (concurrence intra-catégorielle), l'entreprise qui choisit cette stratégie de marque bascule dans un champ concurrentiel inter-catégoriel où les marques sont en concurrence quant à leur aptitude à permettre au consommateur de trouver dans leur offre de quoi satisfaire l'expression de son identité. Or la concurrence inte-rcatégorielle est plus forte et plus diffuse que la concurrence intra-catégorielle.

Du point de vue du consommateur la démarche rencontre une limite: celle de son propre sentiment de satiété. Ce phénomène se résume en une idée très simple. Le consommateur ayant satisfait à l'expression de soi et à la réalisation de sa propre identité par l'acquisition de produits ou de services qui lui ressemble, ne se sent plus dans la nécessité d'en acquérir d'autres. Précisément, plus certaines marques "identitaires" sont saillantes dans l'esprit du consommateur et plus les autres marques identitaires sont nivelées et ne se différencient plus entre elles. En revanche les marques que l'on peut qualifier de fonctionnelles continuent à se différencier entre elles quant aux préférences des consommateurs. En outre, il apparait que plus l'individu considère qu'une marque qu'il possède concourt à l'expression de soi et moins il manifeste d'intérêt pour acquérir d'autres marques qui rempliraient le même rôle, contribuant ainsi à valoriser l'hypothèse d'un phénomène de satiété pour les marques "identitaires". Ainsi par exemple la possession d'un vêtement hautement identitaire comme Abercrombie & Fitch, conduirait à réduire la recherche d'autres marques identitaires.

En terme de stratégie de marque, cela suggère que le choix d'une stratégie basée sur les styles de vie bénéficie aux marques les plus saillantes dans le style de vie dont elles font la promotion. Les autres marques suiveuses risquent de voir leur champ concurrentiel s'accroître considérablement. Ce phénomène est cependant modéré par l'intensité du besoin de marques identitaires chez les consommateurs. S'il reste de la place pour des marques "identitaires", les entreprises devraient réfléchir à l'impasse que constitue le "tout identitaire".


Source : Chernev A., Hamilton R., Gal D. (2011), Competing for Consumer Identity: Limits of Self-Expression and the Perils of Lifestyle Branding, Journal of Marketing, 75, May, 66-82.